Ballades
- Préface
- Et fera fin confuse et enlaidie
- Tout nu d’honneur et de béatitude
- Et tous ses faits ténébreux se réprouvent
- Afin qu’il sente autrui plaie première
- Car de ses moeurs sa famille la preuve
- Et qu’ainsi veut, de quoi fait-il à plaindre
- Et à tout ce qui dessous lui repose
- Et ne sied pas du contraire le croire
- Laquelle il a par dol faite et tissue
- Vont maudissant pour sa vie mauvaise
- Qui de nului n’a grâce fors que blâme
- Et que son heur ne lui tourne en l’oblique
- Mal lui en viendra, pour tout certain s’en tienne
- Chacun aussi lui garde telle meure
- Fors que tout tourne en son sac, marc et livre
- Et si n’en fait ni estime, ni glose
- Car ce serait pire que sang épandre
- Et contre lui former larmes et plaintes
- Et hait tous ceux dont digne est la mémoire
- Et de salut désire à être quitte
- Et au courroux de nul des deux n’a compte
- Pour ce que l’oeuvre en est dénaturelle
- N’est pas bien sain ni de noble nature
- Et dont lui-même il maudira sa tête
- Ni que le ciel lui prête ombre ni voie
- Mais donnez-y amendement
- le Bâton dont il est battu
- C’est très bien dit, mais quérez qu’il le fasse
- Qui vaille honneur et véritable bouche
- Ou mieux te fût n’avoir onc été né
- Car aussi tôt meurent jeunes que vieux
- Bénin de coeur, amiable en regard
- Sans y mettre nulle division
- Par tels moyens sont punis toutes gens
- Gens sans argent ressemblent corps sans âme
- Dieu ne sera point juste s’il l’endure
- Nage autre part pour tes ébats
- Connu ton cas, mener grand déconfort
- Peu vaut plaisir qui mène à damnement
- On dit très bien, mais on fait le contraire
- C’est grand méchef et n’y voulons pourvoir
- J’en suis content) tu n’es pas sage
Jean Meschinot est un noble chevalier de la fin du XVème siècle. Comme souvent à cette époque, c’est moins l’homme d’un État que l’homme d’un maître, et ce n’est donc pas un service particulier mais toute sa personne qu’il voue du duc de Bretagne.
Cela fait de lui, tour-à-tour, un soldat, un courtisan, un administrateur et... un poète. La chose peut paraître surprenante aujourd’hui, mais c’est oublier que, pour un duc, l’éclat est au moins aussi important que la puissance ou la richesse.
D’autant que le duc en a bien besoin, d’éclat, pour contrer les manœuvres du roi de France. Celui-ci s’empare des duchés d’Anjou (1474), de Bourgogne (1477), et convoite celui de Bretagne. Roi Arthur, au secours ! Fleurissent alors de prestigieuses histoires de Bretagne.
Jean Meschinot va beaucoup plus loin. Peut-être est-ce dû à son côté « soldat »... Quoiqu’il en soit, il passe directement à l’offensive contre le roi de France, dont il dénonce le machiavélisme et l’absence de scrupules :
Penses-tu donc l’avoir doux ni propice,
Homme sans foi, sans loi et sans police,
De vices plein en très grand’ multitude,
Vie menant aussi comme inhumaine,
Farci d’orgueil, rempli de gloire vaine,
Tout nu d’honneur et de béatitude ?
Ce ton peut paraître un peu naïf aujourd’hui mais, là encore, c’est oublier que la vertu d’un duc ou d’un roi reste très importante dans un Occident toujours imprégné de foi chrétienne : la crainte d’un châtiment divin est encore vive dans beaucoup d’esprits.
On comprend ainsi pourquoi les Ballades n’ont pas été tenues en grande estime par des auteurs français, comme Montaigne... Les Ballades de Jean Meschinot sont pourtant de la même veine que celles de François Villon ou de Guillaume Alexis.
La langue est vive et rythmée, le drame de la condition humaine est rappelé en termes poignants, et Jean Meschinot pose avec franchise la question de l’inégalité devant la vie face à l’égalité devant la mort.