Scène de naufrage
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Les ombres s’étendaient : la tempête finie
N’avait laissé là haut qu’une sombre harmonie,
Echo frêle et confus du dernier aquilon ;
Et la profonde mer, béante sous l’orage,
La mer se refermait avec un cri sauvage,
Comme une gueule de lion.
Et sur les vastes flots, jeté comme un point vague,
Un lambeau de navire errait de vague en vague :
Ce débris vacillant craquait au moindre effort.
Hélas ! des passagers qui le couvraient naguère,
Deux seuls étaient restés sur l’esquif solitaire,
Deux seuls avaient trompé la mort.
Un vieillard et son fils : jouets de l’onde immense
Qui meurtrissait leurs corps, ils souffraient en silence,
Car depuis trois longs jours ils n’avaient plus de pain ;
Ils souffraient, mais tous deux, combattant la nature,
Cherchaient à se cacher cette double torture
De la fatigue et de la faim.
Or la nuit se leva, c’était la quatrième ;
Et comme le vieillard râlait, n’ayant pas même
Un peu d’eau pour sortir de son affaissement,
L’enfant, plein de douleur, égaré, hors d’haleine,
Mordit dans son bras pâle, et déchirant la veine :
« Buvez, dit-il, voilà mon sang !
« O mon père ! étanchez la soif qui vous dévore :
« Buvez ! Moi, je suis jeune et peux souffrir encore ;
« La côte n’est pas loin, l’horizon devient clair,
« Espérons. » — Le vieillard, immobile à sa place
Et la main sur le cœur, répondit à voix basse :
« Enfant, j’allais t’offrir ma chair.
« Je meurs, mais tu vivras. » — Et sa main défaillante
Laissa tomber à terre une lame sanglante.
L’enfant la voit, se jette avec un cri d’horreur ;
Il touche avidement cette poitrine froide,
Mais il ne sent plus rien. — Le vieillard était roide,
La pointe avait percé le cœur.
Le jeune homme, à genoux, ne poussa pas de plaintes :
Il contempla longtemps ces prunelles éteintes
Qui le cherchaient encor d’un regard douloureux :
Puis, ne pouvant porter l’angoisse qui le navre,
Il tomba sur le front. — L’homme devint cadavre,
Et l’Océan passa sur eux.