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Avril 1832
Il est venu : — les flots, cette immense barrière,
Les flots n’ont pu briser le vol de sa fureur,
Et la foule insensée a plié tout entière
Sous l’aiguillon de la terreur.
Il est enfin venu des rivages du Gange,
Ce rapide vautour, ce voyageur étrange,
Fléau, roi de tous les fléaux ;
Plus prompt que l’ouragan, plus fort que l’incendie,
Il passe, et chaque coup de son aile hardie
Pousse un peuple dans les tombeaux.
Ils s’écriaient pourtant, nos sages, nos prophètes :
Voyez ! l’affreux démon se précipite ailleurs ;
Ô peuple, pourquoi fuir, pourquoi cesser tes fêtes ?
Reprends tes couronnes de fleurs. —
Et la grande cité, follement rassurée,
Tendait ses bras impurs à l’orgie effarée ;
L’ivresse enveloppait ses jours...
C’est en vain que dans l’ombre une main sépulcrale
Inscrivait chaque nuit la sentence fatale : —
Babylone dormait toujours !
Elle s’éveille enfin : — le souffle de la tombe
Vient de changer en deuil l’enivremeut d’hier ;
Elle s’éveille au bruit de son peuple qui tombe,
Comme la feuille au vent d’hiver.
Dieu ! qu’a-t-elle aperçu ?... des spectres à l’œil cave,
Des cadavres humains, muets comme l’esclave
Qu’un bras de fer tient enlacé. —
Et ses cheveux épars blanchissent d’épouvante
Devant ces corps hideux, pourriture vivante
Où le cœur seul n’est pas glacé.
C’est qu’un fléau pareil n’est pas un mal vulgaire
La source en est plus haut : — c’est la main du Dieu fort,
Qui répand tour à tour les horreurs de la guerre
Et les semences de la mort.
C’est lui qui parle en maître à la foule abattue ;
Il commande d’un geste, et le souffle qui tue
Abaisse un vol silencieux ;
C’est que l’immensité tremble devant sa face ;
Et quand sa voix l’a dit, tout un monde s’efface
Comme un atome dans les cieux.
Ah ! quand la terreur plane au-dessus de nos villes,
Quand la mort vient d’ouvrir un plus large chemin,
Ne ferez- vous pas trêve aux discordes civiles,
Vous qu’elle atteindra demain !
Frères, n’oubliez pas quel nœud sacré vous lie :
Enfants du même Dieu, quand chaque tête plie
Au niveau puissant des douleurs,
Inclinez vos fronts nus sur le pavé du temple,
Et là, devant l’autel du Dieu qui vous contemple,
Unissez vos mains et vos pleurs !
C’est là que, séparés d’un tourbillon frivole,
Vous entendrez ce cri de votre âme : « Aimez-vous !
C’est la plus sainte loi, la plus haute parole
De celui qu’on nomme à genoux,
L’âme qui la repousse est comme abandonnée ;
Aimer et consoler, voilà sa destinée
Qu’elle ne doit jamais trahir :
Non, la haine n’est point de la terre où nous sommes ! —
Ah ! j’en appelle encore à vos entrailles d’hommes,
Frères, comment peut-on haïr !
Courez donc rassurer ce peuple qui s’effraie,
Veillez de l’aube au soir, de la nuit au matin ;
Et quand l’heure viendra, versez sur chaque plaie
Le baume du Samaritain.
Que l’ardente pitié vous presse et vous rassemble ;
Allez au seuil du pauvre, allez frapper ensemble,
L’homme n’est grand que par le cœur ;
Allez tous ! — consolez ces âmes éperdues,
Et le ciel bénira vos têtes confondues
Sur le chevet de la douleur.
Secourez et priez : — l’aumône et la prière
Ont un secret pouvoir qui change l’avenir :
Conjurez sans retard le vent de la colère,
Jéhovah peut le retenir.
Mais, s’il abat sur nous ses foudres suspendues,
Si l’affreux tombereau doit sillonner nos rues
Dans sa terrible nudité,
Ne tremblons point : — la mort n’est que l’étroit passage
D’un horizon plein d’ombre à des cieux sans nuage,
D’un vain rêve à l’Éternité !