Au seuil d’un livre
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’N anv an Tad, ar Mab hag ar Spered-Santel,
Houmañ zo ’r ganaouenn savet e Breizh-Izel !
Savet gant ur paourkaezh, en Argoad, en Arvor ;
Kanit anezhi, pezhienn, hag ho pezo digor !
–
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
Celle-ci est une chanson levée en Basse-Bretagne,
Levée par un humble, au pays des Bois, au pays de la Mer ;
Chantez-la, mendiants, et les portes s’ouvriront devant vous.
I
J’ai laissé l’âme bretonne
Chanter en moi son doux chant ;
Il est vieux et monotone,
Il n’en est que plus touchant.
C’est la chanson de nourrice
Dont enfant je fus bercé ;
Humblement consolatrice,
Elle enchanta mon passé.
Si je pouvais la redire
Aussi bien que je la sais,
On l’entendrait, sans sourire,
Même au grand pays français.
Les pasteurs dans la montagne,
Les fileuses dans l’Armor,
Sont presque seuls en Bretagne
A la fredonner encor.
Elle est douce sur les lèvres
Des fileuses de lin clair,
Ou quand les gardeurs de chèvres
Sur les monts en sifflent l’air.
Mais que vaudra-t-il, ce psaume
Du vieux peuple primitif,
Sans la hutte au toit de chaume,
Sans la mer au cœur plaintif ?
Hélas ! J’ai peur qu’on en rie,
Et j’en serais désolé !
C’est le chant de la patrie
Chanté par un exilé.
II
Quand, des brumes de l’Irlande
Au ciel gris de Breizh-Izel,
S’en vinrent, par la mer grande,
Sainte Jeune et Saint Envel.
L’un à gauche, l’autre à droite,
Remontèrent, séparés,
Le cours d’une eau qui miroite
Aux flancs roux des Monts d’Arez.
Sur deux pentes opposées
Chacun d’eux fit sa maison…
L’eau vive entre leurs pensées
Roulait sa claire chanson.
Là, vécurent dans le jeûne,
Afin de gagner le ciel,
Le frère de Sainte Jeune
Et la sœur de Saint Envel.
Quand tous les bruits de la terre
S’étaient fondus dans le soir,
Avec des voix de mystère
Ils se parlaient, sans se voir ;
Et le ruisseau des prairies
Mêlait son chant fraternel,
En ces nobles causeries,
Aux voix de Jeune et d’Envel.
Mais lorsque Jeune, mourante,
Ne put parler que tout bas,
Envel dit à l’eau courante :
« Ruisselet, ne chante pas ! »
L’eau soudain se fit muette.
Depuis ce temps elle court,
D’un vol furtif de chouette,
Dans la nuit du vallon sourd.
III
Comme Jeune, la Bretagne
Va dans la mort s’assoupir ;
Sur la côte ou la montagne
Son chant n’est plus qu’un soupir.
Pour l’entendre, j’ai fait taire
Toute voix qui vient d’ailleurs ;
Et, dans mon cœur solitaire,
Se sont tus jusqu’à mes pleurs.
On dit qu’en visions brèves,
Devant les yeux clos déjà,
Surgissent plus grands les rêves
Qu’aux jours vivants on songea.
Or, je viens chanter aux portes
Les derniers rêves cueillis
Sur les lèvres presque mortes
Du plus aime des pays.